Publié le 13 mai 2025Lecture 7 min
La gastroentérologie pédiatrique pour les pros - Conduite à tenir face à des douleurs abdominales qui durent
Denise CARO, d’après les communications de A. Lecoutour (service de gastroentérologie et nutrition, hôpital Necker, Paris) et de N. Honoré Goldman (Paris)

Pour la deuxième année, le service de gastroentérologie et nutrition pédiatrique de l’hôpital Necker organisait une journée ville-hôpital présentant des démarches diagnostiques et thérapeutiques pratiques devant des symptômes fréquents.
Les maux de ventre chez l’enfant sont très fréquents. Leur intensité ou leur durée conduisent à consulter. Les étiologies des douleurs abdominales chroniques sont nombreuses, le plus souvent bénignes, ce qui n’exclut pas d’en rechercher l’organicité. Certains signes doivent alerter et conduire à faire des examens complémentaires orientés en fonction de la symptomatologie.
Les troubles fonctionnels intestinaux ne peuvent être qu’un diagnostic d’élimination. Face à des douleurs abdominales chroniques, il faut d’abord rechercher une origine organique.
La présence d’un seul signe d’alerte (red flag) oriente vers une cause organique. Il peut s’agir de symptômes digestifs : vomissements, diarrhée, selles nocturnes, rectorragie, atteinte périnéale, masse abdominale, hépatosplénomégalie. Une attention particulière doit être portée à une douleur située à distance de l’ombilic, de localisation précise, toujours au même endroit, nocturne ; on tiendra compte de sa fréquence et de son intensité. Une perte de poids non volontaire, un infléchissement ou une cassure de la courbe staturopondérale, un petit poids sans cassure, orientent vers une cause organique.
C’est le cas également des signes extradigestifs, tels qu’une fièvre inexpliquée, des douleurs articulaires, des atteintes cutanées (psoriasis, érythème noueux), des aphtes buccaux, une altération de l’état général et l’arrêt des activités ludiques.
Enfin, il faut rechercher des antécédents familiaux de maladie inflammatoire chronique intestinale, de maladie auto-immune, de pathologie organique abdominale, de maladie génétique et une consanguinité.
Les étapes du bilan
L’existence d’un ou plusieurs de ces red flags conduit à demander un certain nombre d’examens complémentaires. Le bilan sanguin est le suivant : NFS-P, dosage des réticulocytes, bilan martial, ionogramme, CRP, albuminémie, bilan hépatique, dosage de la lipase, des IgA totales et des antitransglutaminases. Le dosage des ASCA et ANCA n’est pas demandé en première intention, mais seulement en cas de suspicion de maladie inflammatoire chronique de ’intestin (MICI). Une coproculture à la recherche de germes, virus ou parasites dans les selles est utile. Le dosage de la calprotectine fécale permet de faire la différence entre pathologie organique et fonctionnelle, mais n’est pas remboursée en ville ; elle n’est demandée en cas de suspicion d’une MICI. Enfin, une échographie abdominale complète ce bilan. En fonction des anomalies détectées, dans certaines situations bien précises, on peut être amené à faire une endoscopie.
À noter qu’une adénolymphite mésentérique est souvent constatée à l’échographie mais ne constitue pas un diagnostic en soi. Il s’agit d’une inflammation douloureuse des ganglions mésentériques avec une symptomatologie pseudo-appendiculaire, généralement chez l’enfant âgé de 7 à 10 ans. La majorité (80 à 90 %) des enfants avec des douleurs abdominales ont des ganglions en FID qui disparaissent en quelques semaines (2 à 4, parfois plus). Les causes sont non spécifiques et variées : viroses (ORL, adénovirus), infections bactériennes (Yersinia , Campylobacter, salmonelle, streptocoques, staphylocoques, mycoplasmes). Parfois, on ne retrouve aucune étiologie et l’adénolymphite mésentérique est dite idiopathique. Il n’y a pas de traitement spécifique.
La prise en charge d’une maladie cœliaque
La maladie cœliaque est une des causes de douleurs abdominales chroniques chez l’enfant. Il s’agit d’une maladie dysimmunitaire systémique, responsable de la destruction de la muqueuse intestinale déclenchée par l’in gestion de gluten, chez des sujets génétiquement prédisposés (HLA DQ2 et/ou DQ8 dans 98 % des cas). Elle concerne 0,5 à 1 % de la population générale. Elle débute au moment de l’introduction du gluten dans l’alimentation de l’enfant (entre 9 et 24 mois). Elle se traduit par une cassure de la courbe pondérale, une perte de poids, une dénutrition, une fonte musculaire, une humeur triste, des signes digestifs (diarrhée chronique de malabsorption, parfois constipation chez le grand enfant, des douleurs abdominales, une distension abdominale, des vomissements) et une pâleur excessive. Le bilan biologique montre une anémie ferriprive, des carences vitaminiques (B9), une hypoalbuminémie. L’augmentation des IgA antitransglutaminases dans le sang, égale à 10 fois la normale, permet d’affirmer le diagnostic. Il n’est alors pas nécessaire de faire une endoscopie. Une augmentation moindre peut conduire à pratiquer cet exa - men. S’il y a un déficit en IgA mais pas d’augmentation des IgA antitransglutaminases, on dosera les IgG antitransglutaminases.
Le traitement de la maladie cœliaque repose sur une éviction totale et stricte du gluten de l’alimentation. Un régime à vie sans blé, seigle, orge, épeautre, kamut est très difficile à suivre durablement. À noter que certains enrobages de médicaments peuvent contenir du gluten. L’aide d’une consultation diététique dédiée et/ou d’une association de patients des intolérants au gluten est utile. Il existe des produits diététiques sans gluten.
Le régime a une très bonne efficacité ; il permet la disparition des symptômes et le rattrapage de la croissance, du retard des acquisitions, ainsi que la régression des lésions histologiques intestinales. Une surveillance clinique tous les 6 mois et biologique (dosage des IgA antitrans - glutaminases) tous les 12 mois, est recommandée. Une ostéo-densitométrie est pratiquée à 6 ans. On ne pratique pas systématiquement de fibroscopie digestive de contrôle.
Parasitose intestinale, commensale ou pathologique ?
La découverte au cours d’un bilan pour douleur abdominale d’une colonisation intestinale par des parasites tels que Blastocystis hominis ou Dientomeba fragilis pose la question du caractère commensal ou pathogène de ces protozoaires fréquemment présents dans le tractus digestif et dont l’implication clinique est incertaine.
Le rôle pathogène de Blastocystis hominis est controversé. Il peut être selon les cas un vrai commensal ou un vrai pathogène. Il y aurait un tiers de porteurs sains et deux tiers de patients avec des symptômes mal définis et inconstants. Son traitement est non consensuel avec une efficacité variable. On opte généralement pour l’abstention thérapeutique si le patient est asymptomatique. En cas de diarrhée, il est possible de prescrire du métronidazole 30 mg/kg/j en 2 ou 3 prises pendant 10 jours, ou éventuellement d’autres anti-infectieux en ATU comme le tinidazole, la paromomycine ou le nitazoxanide.
Le contrôle de la persistance du parasite dans les selles n’est pas systématique, car elle est non corrélée aux symptômes. De même, un dépistage systématique n’a pas d’intérêt.
Dientomeba fragilis est plus souvent responsable de troubles digestifs, tels que diarrhées et douleurs abdominales ; mais sa pathogénicité reste incertaine. En cas de diarrhée, il est recommandé de prescrire du métronidazole 30 mg/kg/j en 3 prises pendant 10 jours. La paromomycine a une efficacité variable. Là encore, le suivi n’est pas systématique. Il peut être utile en cas de symptômes persistants dans le foyer, et dans les collectivités de jeunes enfants.
Les diagnostics d’élimination
Enfin, la conduite à tenir face à des douleurs abdominales avec un bilan normal peut poser certaines difficultés comme l’illustre le cas de Nicolas, âgé de 5 ans, petit mangeur, qui présente des douleurs abdominales périombilicales depuis plusieurs années, plusieurs fois par semaine. Aucun facteur déclenchant n’a été identifié. Les douleurs apparaissent parfois au cours du repas, elles ne sont jamais insomniantes. D’intensité modérée, elles n’ont pas de retentissement sur les activités de l’enfant (scolaires notamment). L’absence de trouble du transit, de fièvre, de vomissement, de brûlure mictionnelle, de signe extradigestif, est confirmée. La courbe staturopondérale est normale. L’examen clinique est lui aussi strictement normal. L’échographie abdominale montre une simple stase stercorale modérée. Le bilan sanguin (NFS, CRP, bilan hépatique, ionogramme, créatinine, IgA antitransglutaminases et IgA totales) ne révèle aucune anomalie. L’examen parasitologique des selles est négatif. Face à ces douleurs abdominales durables sans étiologie, on propose d’essayer un régime pauvre en lactose pendant 2 semaines. Celui-ci s’avérant inefficace, on conclut à des douleurs abdominales fonctionnelles.
D’une façon générale, face à des douleurs abdominales avec un bilan normal et l’absence de retentissement sur le développement de l’enfant, il faut rassurer la famille, sans nier la douleur ressentie par l’enfant. Il faut rechercher un facteur déclenchant : hospitalisation, divorce des parents, difficultés à l’école, violence. Une prise en charge psychologique peut être utile. Les médicaments ont peu de place : des probiotiques peuvent être essayés, du macrogol est prescrit en cas de constipation. Comme dans le cas de Nicolas, on peut tenter un régime d’épreuve sans lactose. L’intérêt du régime pauvre en Fodmaps est controversé, il expose à un risque de carence chez le jeune enfant. Il importe surtout de rétablir un bon équilibre de vie : alimentation, activité physique, temps d’écran, sommeil, école.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :