Publié le 25 avr 2023Lecture 9 min
Les blattes - Des insectes nuisibles, prolifiques et très allergisants
Guy DUTAU - Allergologue-pneumologue-pédiatre, Toulouse
Les blattes (Blatella germanica, Blatella orientalis, Periplaneta americana, angl. : cockroach) sont des insectes aplatis appartenant à la famille des Blattellidae dans l’ordre des Blattoptères ou Blattodea (Blattaria) dont font également partie les termites(a). Ces insectes, prolifiques et repoussants, originaires d’Asie, colonisant les habitations, maisons et immeubles, sont devenus ubiquitaires, présents dans tous les pays du monde.
DIFFÉRENTES ESPÈCES
Il existe environ 6 000 espèces, également appelées cafards ou cancrelats(b), qui posent des problèmes de santé publique, surtout à cause de leur forte allergénicité, d’autant que rarement isolées, les blattes sont associées à d’autres allergènes tels que les acariens et diverses moisissures. Les espèces les plus communes sont la blatte germanique (B. germanica), la blatte orientale (B. orientalis) et la blatte américaine (P. americana). De couleur jaunâtre ou brune, leurs tailles sont variables, respectivement de 8-15 mm à 30-45 mm pour B. germanica , la blatte de Madagascar pouvant mesurer jusqu’à 9 cm de long, et être utilisée comme animal de compagnie(c) … (figure 1).
Figure 1. A. Blatte germanique (B. germanica). B. Blatte orientale (B. orientalis). C. Blatte américaine (Periplaneta americana). D. Periplaneta fuliginosa. E. Blatte des jardins (Ectobius Spp.).
La tête porte des antennes fines et longues, des grands yeux et des pièces buccales de type broyeur. La plupart des blattes ont deux paires d’ailes, grâce auxquelles certaines espèces peuvent s’envoler.
Elles se développent de façon hémimétabole, en trois étapes – œuf, nymphe, adulte – sans stade immobile entre la larve et l’adulte. La nymphe, semblable à l’adulte, est plus petite, dépourvue d’ailes, de coloration différente de celle des adultes(d).
On trouve B. germanica dans toutes les régions du monde, alors que P. americana est plus répandue dans les climats chauds et humides, mais les deux espèces peuvent cohabiter.
Contrairement aux blattes habituelles, les « blattes de jardin », presque toutes du genre Ectobius (ex. Ectobius sylvestris), insectes ovales, plats, pouvant aller jusqu’à 10 cm de long, ne sont pas considérées comme des nuisibles, mais elles peuvent coloniser les maisons, attirées par la nourriture, attirance utilisée dans des pièges servant à les capturer(e) (1,2).
HISTORIQUE
L’allergie aux blattes a longtemps été méconnue, confondue avec l’allergie aux acariens de la poussière de maison(3). En 1956, Feinberg et coll.(4) ont évoqué le rôle possible des blattes à l’origine de certains cas de rhinites ou d’asthmes allergiques, mais c’est seulement à partir de 1964 que leur pouvoir allergisant a été confirmé par Bernton et Brown dans plusieurs publications successives(5-7).
BIOLOGIE ET ALLERGÈNES
Les blattes sont des insectes très prolifiques : une blatte peut avoir jusqu’à 35 000 descendants en une durée de vie qui va de 60 à 700 jours selon les espèces(1,2). Les allergènes des blattes sont nombreux, environ une dizaine, mais ils n’ont pas tous été caractérisés. Le tableau 1 montre les allergènes identifiés à ce jour. Actuellement, on dénombre 6 allergènes majeurs pour B. germanica et 3 pour P. americana, identifiés par leur poids moléculaire et leurs fonctions biologiques. Pour B. germanica, Bla g1 et Bla g2 sont présents dans la poussière du sol des maisons infestées, mais aussi dans celles qui ne le sont apparemment pas(8).
Source : Allerdata, le site de l’allergologie moléculaire, http://www.allerdata.com/
validé par l’IUIS (Union internationale des sociétés d’immunologie).
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence de l’allergie aux blattes varie de 5 % dans la population générale à 20-30 % chez les individus atopiques. Les infestations par les blattes sont fortement associées à de mauvaises conditions d’habitation et à un niveau socio-économique défavorable. Toutefois, on peut trouver des blattes dans des immeubles neufs. La présence de vide-ordures communs dans certains immeubles, l’importation de quelques blattes dans des meubles, des garde-mangers, et surtout les gaines d’isolation favorisent leur implantation, puis leur diffusion.
SIGNES CLINIQUES
Reconnue depuis plus d’une quarantaine d’années, l’allergie aux blattes se manifeste avant tout par des symptômes respiratoires, tels que la rhinite et/ou l’asthme per-annuels. Par définition, ces symptômes résistent le plus souvent au traitement habituel, tant que le patient est exposé aux allergènes(1,2).
Dans une étude portant sur 476 asthmatiques âgés de 4 à 9 ans recrutés dans 8 villes des États-Unis), Rosenstreich et coll.(9) ont enregistré 36,8 % d’allergies aux blattes, les autres allergies étant dirigées contre les acariens (34,9 %) et le chat (22,7 %).
Dans les chambres, les allergènes des blattes étaient présents dans 1 cas sur 2 (50,2 %), alors que ceux des acariens (9,7 %) et de chat (12,6 %) étaient beaucoup moins présents(9).
L’allergie aux blattes est un facteur de risque d’asthme sévère et/ou de perte de contrôle de la maladie. Ainsi, dans l ’étude sus - indiquée, les enfants à la fois sensibilisés et exposés aux blattes étaient plus souvent exposés que les autres (0,11 vs 0,37 hospitalisation par an, p = 0,001), et ils étaient davantage admis pour des consultations médicales imprévues (2,25 vs 1,43 par an, p < 0,001)(9). Jaen et coll. ont montré que des débris de blattes pouvaient contaminer les farines(10). En effet, parmi les insectes ravageurs des grains, on trouve les charançons du blé, les triboliums, les sylvains, la pyrale de la farine, les cirons et les blattes(f). Dans cette étude, l’allergène Bla g2 a été détecté dans 40 échantillons de farine sur les 41 examinés provenant de 14 firmes différentes ! Plusieurs échantillons contenaient jusqu’à 2 U/g de Bla g2(10).
En conséquence, il n’est pas étonnant qu’un cas d’asthme du boulanger induit par les blattes ait été décrit chez un homme âgé de 33 ans(11), mais jusqu’à présent ce type d’asthme, rare, n’a pas été décrit comme maladie professionnelle (encadré 1). Connaissant cette cause possible d’asthme du boulanger, il est utile de la rechercher par principe dans l’asthme et les rhinites des boulangers.
Nous avons également observé un cas très singulier d’asthme aigu grave (AAG) avec choc anaphylactique secondaire à l’ingestion d’une blatte par un enfant atteint d’AAG, polysensibilisé aux acariens ainsi qu’aux blattes(12).
FACTEURS FAVORISANTS
Les facteurs qui favorisent le développement d’une allergie respiratoire aux blattes sont nombreux, environnementaux et liés au patient.
Le taux de sensibilisation est significativement plus élevé chez ceux qui reconnaissent avoir des blattes chez eux et lorsque leur logement est humide (p < 0,05)(13).
Les enfants uniquement allergiques aux blattes ont un asthme plus grave que les enfants atteints d’allergies multiples (blattes et acariens ou pollens) ou uniquement allergiques aux acariens(14).
Parmi une cinquantaine d’enfants ayant un wheezing récidivant, le rôle de l’exposition à des niveaux variables des allergènes Bla g1c et Bla g2 a été étudié.
Comparativement aux enfants vivant dans des foyers où les niveaux de Bla g1 ou 2 étaient inférieurs à 0,05 U/g, les enfants exposés à des niveaux de Bla g1 ou de Bla g2 de 0,05 à moins de 2 U/g présentaient un risque relatif d’asthme de 8,27 (IC 95 % : 1,04-66,04), tandis que les enfants exposés à des niveaux de Bla g1 ou de Bla g2 de 2 U/g ou plus avaient un risque relatif d’asthme beaucoup plus élevé, de 35,87 (IC95% : 4,49-286,62).
L’exposition aux allergènes des blattes est un prédicteur significatif d’apparition d’un asthme et de respiration sifflante asthmatique récidivante(14). Les niveaux des allergènes des acariens et de chat n’étaient pas significativement associés à ces types d’évolutions, même après le contrôle de plusieurs covariables(14).
Cette gravité se traduit par des crises nécessitant plus rapidement une hospitalisation, des hospitalisations plus fréquentes et de durée plus longue, des nébulisations de salbutamol plus nombreuses au cours du premier jour d’hospitalisation(14). L’exposition aux blattes avant l’âge de 3 ans est un facteur de risque important de survenue ultérieure d’un asthme(14).
D’autres études, en accord avec ces résultats, précisent certains points(15-18) :
les taux d’allergènes de blattes sont plus importants dans les appartements les plus élevés des immeubles(15) ;
plus importants dans certaines villes que d’autres (par exemple dans le Bronx à New York, ou à Dallas) ;
plus importants dans certaines régions que d’autres(15) ; les patients à la fois sensibilisés et exposés ont un risque augmenté d’avoir plus de poux avec des symptômes d’asthme, plus d’insomnies, davantage de jours d’absences scolaires par rapport aux enfants seulement exposés ou seulement sensibilisés(15,16) ;
l’existence d’une polysensibilisation aux allergènes tels qu’acariens, chats, chiens, moisissures) augmente le risque de sensibilisations/allergies aux blattes(17) ;
en Chine, l’allergie aux blattes est plus fréquente dans le sud que dans le nord du pays(18).
DIAGNOSTIC
Le diagnostic est simple en pratique quotidienne, basé sur l’anamnèse, l’interrogatoire, les PT aux solutions allergéniques commerciales(1-3,13,19). Les dosages d’IgEs contre diverses blattes sont les suivants ; i206 (blatte américaine), i207 (blatte orientale), i6 (blatte germanique). Les explorations plus complexes, en particulier utilisant les allergènes de recombinaison, sont du domaine de la recherche clinique et sortent donc du cadre de cette revue.
PRÉVENTION ET TRAITEMENT
L’allergie aux blattes est plus fréquente dans les milieux défavorisés aux habitats vétustes, mais elle n’épargne cependant pas les couches plus aisées de la population, car les blattes peuvent coloniser très vite les immeubles neufs via diverses gaines, les meubles ou appareils transférés d’un logement infesté.
Pour l’instant, l’immunothérapie allergénique (ITA) n’est pas recommandée faute d’extraits suffisamment standardisés et purifiés. Il faut donc utiliser des méthodes de désinsectisation (pyréthrinoïdes, chlorpyriphos, diazinon) dont les effets sont souvent décevants. Dans un immeuble, il faudrait théoriquement traiter tous les appartements, mais c’est souvent difficile.
Toutefois, des programmes globaux de longue durée, au minimum de 6 mois, ont été proposés(20-22) : éducation, hygiène, élimination des causes de développement des blattes, insecticide type hydrométhylnon, aspiration régulière), il a été possible de réduire les concentrations de Bla g1 dans la poussière du sol des cuisines (96 % de réduction), celle des chambres à coucher (84 %) ou des lits (84 %) dans les habitations de quartiers défavorisés(20). Au départ, la sélection des maisons infestées était basée sur la capture de 50 à 500 blattes durant une période de 3 jours.
Dans l’éditorial consacré à cette étude, Eggleston(22) confirme que, contrairement à une opinion vivace, une éviction volontariste des blattes est possible.
L’étude de Arbes Jr et coll.(20,21) a été menée pendant 12 mois, et les auteurs ont comparé les résultats obtenus à 6 et 12 mois, confirmant l’opinion formulée par Eggleston(22) (encadré 2). À cet égard, la requête « Comment se débarrasser des blattes » formulée sur Google donne des résultats intéressants : appâts, pièges, techniques (vidéo)(g,h). H. Chabane a publié un article où l’accent est mis, en particulier sur la prévention et le traitement(3).
*Légèrement dangereux,** modérément dangereux,*** dangereux
Source : Dr Habib Chabane : Les blattes : des allergènes souvent méconnus.
OPA Pratique, 19 mai 2013.
CONCLUSION
• Les blattes (Blatella germanica , Blatella orientalis , Periplaneta americana, angl. : cockroach) sont des insectes aplatis appartenant à la famille des Blattellidae dans l’ordre des Blattoptères ou Blattodea (Blattaria ).
• Ces insectes, prolifiques et repoussants, originaires d’Asie, colonisant les habitations, maisons et immeubles, sont devenus ubiquitaires, présents dans tous les pays du monde. Longtemps confondue avec l’allergie à la poussière de maison, l’allergie aux blattes a été suspectée vers la fin des années 1950, puis confirmée à partir de 1964 par Bernton et Brown, à l’origine d’allergies respiratoires, rhinites et/ou asthmes.
• Cette revue critique analyse les points forts de cette allergie dont les principaux sont les suivants :
les infestations par les blattes sont fortement associées à de mauvaises conditions d’habitation et à un niveau socio-économique défavorable, mais on peut trouver des blattes dans des immeubles neufs ;
de nombreux allergènes des blattes ont été identifiés, mais d’autres sont en cours d’étude ;
le diagnostic est clinique basé sur l’anamnèse, les PT et les dosages d’IgEs ;
l’TA n’est pas recommandée faute d’extraits suffisamment standardisés et purifiés ;
l’élimination des blattes repose sur l’éducation des familles et les méthodes de désinsectisation (pyréthrinoïdes, chlorpyriphos, diazinon) ;
plusieurs études montrent que cette prévention, bien que difficile, est possible, mais astreignante.
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