Allergologie
Publié le 04 jan 2024Lecture 10 min
Pollution atmosphérique, pollens, virus respiratoires : un trio inflammable
Fabien SQUINAZI, médecin biologiste, président de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » du Haut Conseil de la santé publique, Paris
Les 10 000 à 20 000 litres d’air inhalé par jour sont des vecteurs de divers polluants, particules fines, microorganismes et pollens, qui agissent concomitamment sur l’épithélium respiratoire. Cette barrière physique efficace, qui couvre les cavités nasales jusqu’aux bronchioles terminales, entraîne vers la trachée environ 90 % des grosses poussières inhalées, y compris les pathogènes respiratoires, piégées dans le film de mucus. Toutefois, les particules fines, inertes et biologiques, potentiellement dangereuses pour l’homéostasie tissulaire locale, peuvent déclencher dans la cellule, en se liant à leur récepteur cellulaire, une réponse inflammatoire visant à éliminer l’agresseur. Une réponse adaptée, modulée et résolutive après l’élimination de l’agression. Cet article présente les différentes synergies entre ces agents exogènes sur l’épithélium respiratoire.
LES RISQUES DE LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE
À de faibles niveaux de concentration, l’exposition aux polluants de l’air peut provoquer, le jour même ou dans les jours qui suivent, des symptômes irritatifs au niveau des yeux, du nez et de la gorge, mais peut également aggraver des pathologies respiratoires chroniques (asthme, bronchite…) ou favoriser la survenue d’un infarctus du myocarde, voire provoquer le décès. L’augmentation de la mortalité et des hospitalisations pour causes cardiovasculaires est attribuée aux particules fines, tandis que l’augmentation de la mortalité et des hospitalisations pour causes respiratoires est attribuée à l’ozone et au dioxyde d’azote. Les effets du dioxyde d’azote, traceur de la pollution lié au trafic, sont plus importants chez les personnes âgées de 75 ans et plus et pendant la saison chaude.
À plus long terme, même à de faibles niveaux de concentration, une exposition sur plusieurs années à la pollution atmosphérique peut induire des effets sur la santé bien plus importants qu’à court terme. De nombreuses études montrent un rôle de la pollution atmosphérique sur la perte d’espérance de vie et la mortalité, mais également sur le développement de maladies cardiovasculaires (maladies coronariennes, accidents vasculaires cérébraux), de maladies respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme, infections respiratoires inférieures) et du cancer du poumon. Les polluants sont responsables d’une toxicité directe sur les cellules pouvant entraîner des altérations génétiques, d’une action indirecte via une réaction pro-inflammatoire et un stress oxydatif et d’un affaiblissement des mécanismes de défense. Le rôle de la pollution atmosphérique a été également montré sur les troubles de la reproduction, les troubles du développement de l’enfant, les affections neurologiques et le diabète de type 2. Une évaluation quantitative d’impact sanitaire en France continentale, sur 25 années d’exposition, a conclu que près de 40 000 personnes décèdent chaque année de la pollution de l’air, correspondant à une perte de 7,6 mois d’espérance de vie.
INTERACTION POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE ET COVID-19
La Covid-19 plus grave dans les zones polluées
En mars 2020, une publication de la société italienne de médecine environnementale établissait des corrélations entre les niveaux de pollution aux particules fines et la forte et rapide augmentation des cas de contamination à la Covid-19 dans la région très industrielle du nord de l’Italie (Lombardie, Piémont, Vénétie et Émilie-Romagne). Les auteurs ont confirmé l’association entre le nombre de dépassements quotidiens de la valeur limite de PM10, enregistrés entre la période du 10 février 2020 au 29 février 2020, et le nombre de personnes malades de la Covid-19 au 3 mars 2020, ainsi qu’avec un niveau de létalité.
Cette situation n’était pas nouvelle, car en 2003, une étude en Chine avait montré que les patients contaminés au virus du syndrome respiratoire sévère (SRAS) et vivant dans des régions modérément polluées avaient 84 % de plus de risques de mourir du SRAS que les patients de régions peu polluées, et ceux vivant dans des régions avec des niveaux élevés de pollution avaient deux fois plus de risques de décès.
Les études épidémiologiques publiées ensuite sur la corrélation entre le niveau d’exposition à la pollution atmosphérique à court ou long terme et la gravité de l’épidémie de Covid-19 allaient dans le même sens, sans toutefois apporter des éléments d’explication causale. Les premières études globales ont été réalisées au début de la pandémie dans 120 villes de Chine entre le 23 janvier 2020 et le 9 février 2020. Les auteurs concluaient à une relation statistiquement significative entre l’exposition à court terme à une forte pollution atmosphérique et un risque accru d’infection à la Covid-19. La répartition géographique de la Covid-19 et sa corrélation avec plusieurs indices annuels de qualité de l’air, incluant les épisodes de pollution élevée, ont été étudiées en Chine, en Iran, en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cette étude a enregistré plus d’infections virales dans les régions touchées par des valeurs élevées de particules PM2,5 et de dioxyde d’azote. Aux Pays-Bas, en février 2020, un doublement des cas était observé lorsque la concentration de PM2,5 passait de 10 μg/m3 à 12 μg/m3. En Angleterre, les niveaux de marqueurs de mauvaise qualité de l’air, dont les oxydes d’azote et le dioxyde de soufre, étaient associés à un nombre accru de décès liés à la Covid-19, après ajustement avec la densité de population.
L’association des données épidémiologiques aux mesures satellitaires de la pollution concluait, après modélisation, que 5 % des décès dus à la Covid-19 dans le monde pouvaient être attribués à une exposition à long terme à la pollution de l’air, dont les particules fines. En Europe, la proportion était d’environ 19 %, en Amérique du Nord de 17 % et en Asie de l’Est d’environ 27 %. Une publication de l’Université de Harvard montrait qu’une augmentation de seulement 1 μg/m3 du niveau de PM2,5 auquel la population serait chroniquement exposée, était associée à une augmentation de 15 % du taux de mortalité à la Covid-19. Les auteurs formulaient l’hypothèse que l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique augmentait le risque de développer des formes graves de la maladie.
Les hypothèses sur les mécanismes d’aggravation de la Covid-19
La première hypothèse proposée pour expliquer ce lien entre pollution atmosphérique, surtout particulaire, et aggravation de la Covid-19, se focalise sur la réponse inflammatoire caractéristique de la maladie, en particulier dans les formes graves avec « l’orage cytokinique », et sur le rôle de l’inflammation dans les pathologies liées à la pollution atmosphérique. De nombreuses données épidémiologiques et toxicologiques associent les particules fines (PM2,5, PM10) et ultrafines (PM0,1) à une réponse inflammatoire au niveau des voies aériennes et pulmonaires et à l’augmentation de la morbidité et de la mortalité respiratoire et cardiovasculaire. « Le stress respiratoire chez les personnes infectées par le SARS-CoV-2 pourrait être influencé par cette fragilisation préalable due à la pollution, et aggraver l’infection. Les patients souffrant de maladies pulmonaires et cardiaques chroniques, causées ou aggravées par une exposition de longue durée à la pollution de l’air, sont moins capables de lutter contre les infections pulmonaires et risquent davantage de décéder », résume l’Observatoire régional de la santé d’Île-de- France. De manière plus générale, la pollution atmosphérique, en jouant un rôle d’adjuvant, est un facteur d’aggravation des maladies infectieuses respiratoires via une augmentation de l’inflammation pulmonaire.
Une autre hypothèse a été développée qui, sans être exclusive de la précédente, pourrait expliquer les formes graves de la Covid-19 dans les régions soumises à une pollution atmosphérique chronique. Des chercheurs italiens considèrent que l’expression du récepteur ACE2, porte d’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules, pourrait être modulée par les hydrocarbures aromatiques polycycliques des PM2,5. Une augmentation de l’expression pulmonaire de ACE2 a été observée expérimentalement après installation intratrachéale de PM2,5 chez la souris.
Ainsi, plusieurs facteurs pourraient expliquer l’aggravation de la Covid-19 dans les zones polluées : un stress oxydant à l’origine de l’inflammation bronchique et une surexpression pulmonaire du récepteur ACE2 associée à une exposition chronique à la pollution aux particules et au dioxyde d’azote chez les malades atteints de formes graves de Covid-19. Cette surexpression d’ACE2 sur la membrane plasmique des cellules des voies aériennes conduirait à une fixation plus importante des particules virales par l’intermédiaire de la protéine Spike et un risque de sévérité accrue de la maladie. Selon le niveau d’expression du récepteur ACE2 dans les voies respiratoires et jusqu’aux alvéoles, le développement de l’infection irait des formes asymptomatiques jusqu’aux formes les plus sévères.
INTERACTION POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE ET POLLENS
Les pollens sont responsables de réactions allergiques, appelées pollinoses, au niveau des muqueuses respiratoire et oculaire, ce qui se traduit surtout par des rhinites et des rhino-conjonctivites saisonnières, et plus rarement de l’asthme. L’allergie aux pollens se développe généralement chez l’adolescent ou chez l’adulte jeune qui présente une prédisposition génétique ou atopie, mais l’allergie à des pollens particuliers (cyprès, ambroisie…) peut concerner n’importe quelle personne, si elle a subi une exposition suffisamment intense et prolongée. La prévalence a été estimée au plus à 7 % chez les enfants de 6-7 ans, 20 % chez les enfants de 9 à 11 ans, 18 % chez adolescents de 13-14 ans et 31-34 % chez les adultes. La contribution des différents pollens responsables de la pathologie allergique dépend de la localisation géographique et de la période de l’année : pollinisation hivernale et printanière des arbres et arbustes, pollinisation des plantes herbacées (graminées, plantain, oseille) du milieu du printemps à l’été, et pollinisation des espèces du genre Ambrosia de la mi-août à la fin septembre.
Depuis quelques décennies, la date de début de pollinisation de nombreuses espèces végétales tend à devenir plus précoce, de quelques jours à plus d’une quinzaine de jours, ce qui a pour conséquence d’allonger la durée de la pollinisation. Cette précocité semble plus marquée pour les plantes à floraison précoce de janvier à avril. Des études expérimentales montrent que l’élévation des températures atmosphériques et de la concentration en CO2 rend certains pollens plus allergisants. Il a été observé que la quantité d’allergènes dans les grains de pollen de bouleau et d’ambroisie augmentait avec la température. Le changement climatique pourrait également influencer la répartition géographique des plantes, avec une translation du sud vers le nord de certaines espèces (olivier, frêne).
Les grains de pollen contiennent des composés ayant des effets pro-inflammatoires ou adjuvants à la réaction allergique qui peuvent augmenter l’inflammation des voies aériennes induites par le pollen. Les grains de pollen peuvent être amenés à libérer leur contenu suite au contact avec l’eau et les muqueuses. Toutefois, certains polluants chimiques peuvent moduler la réaction allergique en agissant directement chez les sujets sensibilisés, ou en agissant sur les grains de pollen, notamment sur leur paroi et sur leur contenu protéique.
Les polluants atmosphériques peuvent favoriser la réaction allergique en abaissant le seuil de réactivité bronchique et/ou en accentuant l’irritation des muqueuses nasales ou oculaires. Par exemple, l’ozone altère les muqueuses respiratoires et augmente leur perméabilité, ce qui engendre une réaction allergique à des concentrations de pollen plus faibles. Les polluants chimiques atmosphériques peuvent entraîner une déformation ou une rupture de la paroi du grain de pollen, et libérer ainsi des granules cytoplasmiques ou des fragments de grain, qui ont une taille (0,5 μm à 4,5 μm) leur permettant de pénétrer dans le système respiratoire bien plus profondément que les grains de pollen. Les polluants chimiques peuvent également modifier le contenu protéique des grains de pollen, donc modifier leur potentiel allergisant.
INTERACTION POLLENS ET VIRUS RESPIRATOIRES
L’étude de Gilles et coll. (2020), qui associe des cultures cellulaires humaines, un modèle murin et une cohorte humaine, révèle que les pollens diminuent considérablement la réponse épithéliale au rhinovirus et à d’autres virus respiratoires, en altérant les mécanismes de défense. En utilisant un modèle in vitro d’une infection à rhinovirus, les auteurs montrent que l’exposition au pollen durant une infection virale réduit la réponse pro-inflammatoire et accroît la réplication virale. Ces observations in vitro ont été retrouvées in vivo. Chez la souris infectée par le virus respiratoire syncytial, le co-traitement par du pollen en instillation nasale augmente la charge virale pulmonaire, en l’absence de sensibilisation allergique, et supporte l’hypothèse que l’exposition compromet les réponses immunes antivirales innées. Des cohortes indépendantes montrent que l’exposition printanière au pollen compromet la réponse antivirale respiratoire, non seulement chez les personnes allergiques, mais aussi non allergiques. Ceci pourrait être d’une grande importance pour des personnes souffrant de maladies respiratoires chroniques pour lesquelles les infections virales sont une principale cause d’exacerbations sévères.
L’impact de la co-exposition au pollen sur la sensibilité aux infections virales, quel que soit le statut allergique, a été aussi étudié avec les infections à SARS-CoV-2. Les relations entre taux d’infections et concentrations de pollen, ainsi qu’avec l’humidité, la température, la densité de population et les effets du confinement. Les données proviennent de 130 sites dans 31 pays et sur les cinq continents. Les résultats montrent que l’exposition au pollen, parfois en synergie avec l’humidité et la température, explique en moyenne 44 % du taux d’infection.
Conclusion
• Polluants chimiques, particules fines, pollens et virus respiratoires ont la même cible, l’épithélium respiratoire, et agissent par l’intermédiaire d’une réponse inflammatoire. De nombreuses études montrent la synergie d’action entre ces agents exogènes : les polluants atmosphériques aggravent les infections virales respiratoires, dont la Covid-19, et les pollinoses, les pollens favorisent les infections virales respiratoires, en l’absence de sensibilisation allergique, par une réduction de la réponse épithéliale.
• Au-delà des mesures d’amélioration de la qualité de l’air, les personnes allergiques ou non, à haut risque d’infections respiratoires, pourraient restreindre leurs activités extérieures lorsque les saisons polliniques et virales coïncident, en particulier durant les jours comportant des comptes polliniques élevés. En outre, comme il n’est pas possible d’éviter complètement l’exposition au pollen, il est recommandé également de diffuser largement des informations sur la co-exposition pollen-virus pour encourager les personnes à haut risque de porter un masque filtrant les particules lors de fortes concentrations de pollens.
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