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Cardiologie

Publié le 19 avr 2024Lecture 5 min

Prévention primaire chez le sujet âgé : une place pour la déprescription ?

Frédéric ROCA(1), Marion PÉPIN(2)*

Monsieur Z., 85 ans, vous consulte pour son suivi cardiologique. Cela fait maintenant 4 ans que vous ne l’avez pas revu en consultation. Dans ses antécédents vous notez une hypertension artérielle essentielle, une hypercholestérolémie, et une cataracte opérée à droite et un syndrome dépressif.
Son traitement habituel comporte : aspirine 75 mg par jour, atorvastatine 20 mg par jour, amlodipine 10 mg par jour, urapidil 30 mg x 2 par jour, miansérine 30 mg par jour, lormétazépam 1 mg au coucher, paracétamol 1 g si douleur maximum 3 g par jour.
À l’interrogatoire, il existe des chutes, environ 2 par an. Dans les suites de son syndrome dépressif, le patient a perdu 5 kg sur 2 ans, il pèse aujourd’hui 55 kg stabilisés depuis quelques mois. Il ne se plaint pas de dyspnée, de douleur thoracique, de syncope ou de lipothymie. À l’examen clinique, la pression artérielle ce jour est à 120/70 mmHg, le pouls est à 80 bpm. Il n’y a pas d’œdèmes des membres inférieurs, l’auscultation cardio-pulmonaire est sans particularité, les pouls périphériques sont perçus et sans souffle. Lorsque vous le voyez arriver dans votre consultation, la marche est mal assurée.
L’électrocardiogramme retrouve uniquement un bloc auriculo-ventriculaire de type 1 ; il n’y a pas d’autres anomalies notamment pas d’arythmie supra-ventriculaire, pas de bloc de branche ni de séquelles ischémie. Le test l’hypotension orthostatique est négatif avec cependant une baisse de 15 mmHg de systolique sur la mesure. 

Quels traitements envisageriez-vous de renouveler ou d’arrêter chez ce patient ?

Discussion   Cette vignette clinique illustre un patient âgé, en prévention primaire, pour lequel plusieurs traitements ont été prescrits il y a maintenant plusieurs années, non réévaluées. Concernant la prescription d’aspirine : au-delà de 70 ans, et en l’absence de pathologie cardiovasculaire athéromateuse, la prescription en prévention primaire d’aspirine n’est pas recommandée, voire délétère. En effet, une étude randomisée contrôlée (ASPREE) a montré que la prescription d’aspirine en prévention primaire chez les plus de 70 ans ne diminuait pas le risque d’événements cardiovasculaires et ne protégeait pas contre la survenue d’une démence, ou d’une dépendance(1-3). À l’inverse, cette prescription était associée à l’augmentation du risque de saignement. Ainsi, même si dans les dernières recommandations de l’ESC les patients très âgés avec facteur de risque cardiovasculaire peuvent être considérés comme des patients à très haut risque d’événements(4), il n’y a aucune démonstration que la prescription d’antiagrégants plaquettaires en prévention primaire est bénéfique. Par ailleurs, ce patient présente des éléments évoquant à la fois une dénutrition, une possible fragilité, et une sarcopénie qui nécessiteraient d’être évaluées de manière plus approfondie. Le risque de chute est dans ce contexte élevé. En conclusion, la prescription d’anti-agrégants plaquettaires semble délétère, et le praticien doit se poser la question de déprescrire ce traitement. Concernant le traitement par statine : alors que la démonstration en prévention primaire de l’utilisation des statines pour réduire le LDL-cholestérol est largement documentée chez le patient de moins de 70 ans, il persiste encore de nombreuses interrogations chez les patients âgés. Deux essais randomisés sont en cours pour évaluer le bénéfice des statines en prévention primaire sur la mortalité, la survenue d’événements cardiovasculaires, de démence ou d’une dépendance chez le patient âgé (STAREE trial : clinicaltrials.gov registration : NCT02099123 ; PREVENTABLE trial : clinicaltrials.gov registration : NCT04262206). En l’état actuel des connaissances, il existe une indication aux statines chez les patients de plus de 70 ans présentant une pathologie cardiovasculaire athéromateuse(5,6). En revanche, les dernières recommandations invitent le praticien à s’interroger sur la pertinence de cette prescription au-delà de 70 ans en l’absence de pathologie cardiovasculaire sous-jacente et en tenant compte d’autres éléments que le taux de LDL-cholestérol, tels que la fragilité, les comorbidités, l’espérance de vie du patient ou ses souhaits(4). À noter également que l’avancée en âge s’accompagne volontiers d’une baisse des taux de LDL-cholestérol, qui peut être notamment expliquée par l’augmentation de prévalence de la dénutrition. Dans ce contexte, et dans la situation particulière de ce patient (fragilité, dénutrition, sarcopénie possible), un arrêt de la statine pourrait donc être envisagé. Concernant les traitements antihypertenseurs : le patient présente des chiffres de pression artérielle plutôt bas par rapport aux objectifs. Actuellement, une pression artérielle systolique (PAS) située entre 130 et 140 mmHg est recommandée chez les patients de plus de 80 ans, et même entre 130 et 150 mmHg chez les patients présentant une fragilité(7). De plus, le contexte de chute, et des chiffres de PAS diminuant à l’orthostatisme (bien que non significatif, car inférieur à une baisse de 20 mmHg de PAS) doivent faire rechercher à plusieurs reprises une hypotension orthostatique. Enfin, la prescription d’anti-hypertenseurs centraux n’a pas sa place chez ce patient car en dehors des recommandations. Peu d’études ont évalué la déprescription des antihypertenseurs et notamment leur bénéfice à long terme. Une étude randomisée ne retrouve pas de différence sur les chiffres de pression artérielle à 12 semaines de la déprescription(8). L’étude PARTAGE chez les patients d’EHPAD a montré qu’une PAS inférieure à 130 mmHg chez des patients ayant ≥ 2 antihypertenseurs était associée à une moindre survie(9). En conséquence, l’étude RETREAT-FRAIL (clinicaltrials.gov registration : NCT03453268) est en cours afin d’évaluer si une attitude systématique de déprescription chez ces patients pourrait être bénéfique. Certains auteurs ont d’ailleurs proposé des algorithmes de déprescription des antihypertenseurs(10). Dans ce cas clinique, une première attitude pourrait être d’arrêter l’urapidil, de proposer une mesure ambulatoire de la pression artérielle sur 3 jours par exemple en auto-mesure, et de dépister régulièrement l’hypotension orthostatique en consultation. En cas de chiffre de pression artérielle dans la cible ou encore trop basse ou d’hypotension orthostatique, on pourra discuter la diminution, voire l’arrêt de l’amlodipine.   En pratique   Cette vignette clinique illustre quelques situations fréquentes de déprescription qui peuvent être proposées à des patients âgés et fragiles. Elle souligne l’importance d’évaluer le statut de fragilité et fonctionnel des patients plutôt que de ne baser sa prescription que sur l’âge, particulièrement en prévention primaire. La déprescription de certains de ces traitements pourrait également permettre de prioriser d’autres traitements notamment à visée anti-ostéoporotique chez ce patient chuteur, un soutien nutritionnel ou une optimisation du traitement antidépresseur. De plus, la promotion d’une activité physique adaptée chez ce patient chuteur, ayant perdu du poids et sans contre-indication cardiovasculaire, doit être privilégiée.   * 1 Service de médecine aiguë gériatrique, CHU de Rouen ; INSERM U1096, endothélium, valvulopathie, insuffisance cardiaque, université Rouen Normandie, UNIROUEN, Rouen 2 Service de gériatrie, hôpital Ambroise-Paré, APHP, UVSQ, Boulogne ; Université Paris Saclay, CESP, équipe épidémiologie clinique, INSERM, Villejuif

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